(1961 - 1971)
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ans les années 60, le cinéma américain était sur le déclin. Les dinosaures qui dirigeaient les studios étaient de plus en plus décalés par rapport au public des salles de cinéma, à savoir en majorité la génération du baby-boom. En Europe, À Bout de Souffle (1959), Pierrot le Fou (1965) de Godard, Les 400 Coups (1959), Jules et Jim (1962) de Truffaut, La Dolce Vita (1960), Huit et Demi (1963) de Fellini ou encore L'Avventura (1960) et Blow-Up (1967) d'Antonioni, bousculaient les règles cinématographiques. Les mouvements pour les droits civiques, les Beatles et les Rolling Stones, la pilule, le Vietnam, la drogue... étaient autant d'éléments qui faisaient évoluer la société auparavant sous la crainte d'une Guerre Froide (et la peur de la Bombe). L'Amérique commençait à vivre sa révolution culturelle, mais le "Vieil Hollywood", plein de préjugés, avait beaucoup de mal à passer le relais à une nouvelle génération ambitieuse. Cependant, dès lors que ces jeunes auteurs eurent accès à des domaines autrefois réservés, influencés par le cinéma européen et aidés par l'apparition des caméras 16 mm (qui permettaient d'aller filmer n'importe où), une avalanche de films aux idées nouvelles apparût. Les films se réalisaient parfois pour presque rien, parfois fort mal car sous la responsabilité de jeunes amateurs sans expérience. Mais quand certains réussirent, avec des œuvres à risque (souvent sans héros), ils firent voler en éclat les vieilles recettes du succès, et remettaient en cause les conventions traditionnelles du récit et le techniquement correct, rompant avec le manichéisme et le happy end de rigueur. Parallèlement, des films à gros budgets se ramassaient au box-office. La production hollywoodienne était dans tous ses états: plus aucune formule ne garantissait le succès.
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Les cinéastes de ce qui devint le "Nouvel Hollywood" parmi lesquels figuraient Brian De Palma, mais encore Woody Allen, Peter Bogdanovich, Francis Ford Coppola, William Friedkin, Steven Spielberg ou Robert Altman pour n'en citer que quelques-uns, dérobaient le pouvoir aux sacro-saints studios, et assumaient pleinement leur position d'artistes. Associée à ces nouvelles figures de la réalisation, une pléiade d'acteurs d'un nouveau genre fit son apparition, formés pour la plupart à l'Actor's Studio sous la direction de Lee Strasberg: entre autres Robert De Niro, Dustin Hoffman, Al Pacino, Ellen Burnstyn, Faye Dunaway, Donald Sutherland, etc. Ces acteurs de "la méthode" étaient à l'opposé du style classique de leurs prédécesseurs. En 1967, Bonnie and Clyde d'Arthur Penn et The Graduate de Mike Nichols créèrent un séisme à Hollywood, suivis l'année d'après d'Easy Rider de Dennis Hopper. Ces films exigeants trouvaient un public très nombreux au grand dam des producteurs vieux jeu.
Brian De Palma était une légende parmi les cinéastes new-yorkais indépendants, et qui nourrissait comme beaucoup le rêve de devenir le Jean-Luc Godard américain. Ses films satyriques, expérimentaux, novateurs, disjonctés et très engagés retranscrivaient l'ambiance qui régnait dans la société américaine de l'époque. Dans un de nos entretiens, Brian De Palma me confiait : |
"Quand je suis arrivé à New York vers la fin des années 50, il y avait toute cette excitation au sujet de la Nouvelle Vague Française, du cinéma européen, les Brits, les Italiens, les Indiens… Nous les avions tous vus quand j'allais à l'université de Columbia. Et c'est devenu un nouveau centre d'intérêt pour moi. En raison de ma passion pour la technique, je n'ai pas été intimidé par les caméras, et j'avais des capacités pour la réalisation. Ainsi, j'ai fait ça sans vraiment savoir dans quoi j'entrais, et j'ai juste continué." |
1. Colombia et Sarah Lawrence
Les débuts de De Palma eurent lieu lors de sa deuxième année d'études à Colombia, lorsque des étudiants lui avaient proposé d'être opérateur sur leur court-métrage. Suite à une mésentente, le réalisateur quitta le plateau et De Palma reprit la réalisation de ce qui devint Icarus, son premier court-métrage. |
"J'étais un jeune homme très focalisé et déterminé, et c'est ce que vous devez être si vous voulez avoir une carrière dans n'importe quoi." |
Le film, symbolique, se moquait du style programmé de la vie moderne, montrant le dieu Pan, sortant d'une bouche de métro, qui cherchait à faire dégringoler des personnages marchant en équilibre sur des fils.
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Après 660214, the Story of an IBM Card (1961), film d'étudiant relativement peu intéressant, De Palma réalisa son troisième et certainement meilleur court-métrage de sa filmographie naissante, Woton's Wake (1962). Il passait plus en plus de temps au Sarah Lawrence College, un établissement d'arts libéraux de New York. Il y rencontra Wilford Leach, un professeur d'art dramatique qui ensuite eut une influence importante sur lui. L'acteur William Finley (qui retrouva De Palma à divers reprises dans Phantom of the Paradise, Sisters, The Fury ou récemment The Black Dahlia) y apparaissait pour la première fois. S'inspirant du Pygmalion, son personnage était un sculpteur dont une de ses œuvres se métamorphosait en une jolie fille. Il lui courait après muni d'une lampe torche pour lui rendre sa forme initiale, préférant sa création à la fille. Le film se référait ouvertement à des chef-d'œuvres tels que Le Septième Sceau de Bergman, Huit et Demi et La Dolce Vita de Fellini, ou même King Kong. Dans un documentaire réalisé par Luc Lagier (qui se trouve sur le DVD Brian De Palma, les années 60 - 2002), De Palma parlait de Woton's Wake comme de son meilleur court-métrage de cette période. Le Musée d'Art Moderne lui décerna le prix du meilleur court-métrage des moins de 25 ans, et il gagna également le Grand Prix du concours The Cinema 16 Independant Film contest qui récompensait les courts-métrages expérimentaux.
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2. The Wedding Party & Murder a la Mod
Entre 1964 et 1966, Brian De Palma réalisa son premier long-métrage: The Wedding Party, co-réalisé par Cynthia Munroe. Il devait à l'origine s'agir d'un film à sketches sur l'amour en Amérique dans l'esprit de L'Amour à Vingt Ans (de François Truffaut, Marcel Ophuls, Andrzej Wajda, Renzo Rossellini et Shintaro Ishihara). De Palma et Munroe écrivirent un sketch, ainsi que d'autres réalisateurs (Ulu Grosbard et John Hancock) qui travaillèrent un an sur ce projet. De Palma avait réuni dix mille dollars pour son sketch, Cynthia Munroe s'auto-finançait, mais les autres n'arrivaient pas à trouver l'argent nécessaire. De Palma et Munroe décidèrent de réaliser un long-métrage du sketch de Munroe qui s'inspirait du mariage d'un de leurs amis communs. L'acteur principal était un élève de Colombia, Charles Pfluger, et l'actrice Jill Clayburgh était de Sarah Lawrence. William Finley interprétait également un personnage. Mais le film marquait surtout le tout premier rôle d'un acteur alors inconnu et débutant: Robert De Niro. De Palma le remarqua lors d'une séance de casting organisée avec Finley dans un loft de Greenwich Village, où De Niro improvisait avec Finley et faisait déjà une forte impression. Tourné en 16 mm avec différents effets de style tels qu'accélérés, ralentis ou montage rapide, le film racontait l'histoire de Charlie, fiancé à Josephine mais, refroidi par la rencontre avec sa belle famille, il décidait de s'enfuir avant le mariage. Ses amis Cecil et Alistair le ramenaient à temps pour la cérémonie. Le tournage démarra en décembre 1964 et continua durant 1965. De Palma faisait le montage dans le studio où il vivait. Après son cursus à Sarah Lawrence, De Palma fonda une petite compagnie avec Kenny Burrows pour tourner des documentaires et des films industriels. Burrows et De Palma réalisèrent Bridge That Gap (1965) pour le NAACP (une association nationale pour l'avancement des gens de couleur) sur les logements sociaux des noirs à la Nouvelle Orléans, et Show Me a Strong Town and I'll Show You a Strong Bank (1966) qui suivait un inspecteur visitant des banques et qui fut tourné pour le compte du Département du Trésor. Brian De Palma, en passionné d'art, réalisa en 1966 un documentaire portant le titre The Responsive Eye, sur une importante exposition op art au Musée d'Art Moderne de New York. Le but était de montrer les artistes comme des personnes drôles et ayant de l'humour, et non en tant que monstres sacrés. Aidé par son ancien professeur au Sarah Lawrence, Rudolf Arnheim, le film montrait l'exposition en elle-même, le vernissage, et quelques entretiens avec les artistes. À l'instar de documentaristes comme les frères David et Albert Maysles (réalisateurs notamment du documentaire sur la première tournée des Beatles aux USA, et de Gimme Shelter des Stones), ou de Donn Alan Pennebaker (réalisateur du Don't Look Back de Bob Dylan, et plus tard du documentaire sur l'historique dernier concert de David Bowie en Ziggy Stardust, entre autres), De Palma tentait de réaliser un documentaire rock intitulé Mod et il filma des concerts des Who ou des Animals en Angleterre, mais, faute de budget, le film ne vit jamais le jour. Le film retranscrivait notamment la première tournée américaine des Rolling Stones.
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Avec seulement cinquante mille dollars de budget, De Palma tournait son second long-métrage, Murder a la Mod (1967), grâce en partie à l'argent de ses précédentes commandes, mais aussi avec le financement d'un producteur spécialisé dans le film érotique (De Palma lui avait certifié que son film en serait un). William Finley jouait le rôle d'un psychopathe sourd et muet, et avait composé la chanson du film. Divisé en trois segments différents par le style, le film montrait le meurtre d'une fille au pic à glace. D'abord filmée à la manière d'un feuilleton à l'eau de rose, du point de vue de la victime, l'histoire redémarrait ensuite, racontée de façon "hitchcockienne", et recommençait enfin du point de vue du tueur, à la manière d'un film burlesque. Distribué avec les moyens de De Palma et Burrows, le film sortit en double programme avec Secret Cinema de Paul Bartel. Il est resté deux semaines à l'affiche. Quant au producteur de films érotiques, il ne fut pas enchanté du résultat auquel il ne s'attendait absolument pas. Des années plus tard, De Palma a utilisé des images de Murder a la Mod dans Blow Out (1981), dans une scène où Dennis Franz regarde la télévision...
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3. Cinéma contestataire et premiers succès
De Palma venait de recevoir une bourse du studio Universal pour faire partie d'un groupe de jeunes talents. Il proposa une idée pour un film tirée de l'affaire Charlie Starkweather [surnommé "Mad Dog Killer", lui et sa petite amie tuèrent onze personnes entre le Nebraska et le Colorado durant l'année 1958, avant d'être capturés par la police (lui fut condamné à la chaise électrique, et elle sortit de prison après 18 ans d'incarcération) - Terence Malick s'inspira de cette même affaire pour son premier long-métrage, Badlands, réalisé en 1974]. Mais finalement, le studio se désintéressa des idées du groupe. Charles Hirsch, qui travaillait pour le studio à New York, proposa à De Palma de produire un petit film, sans Universal.
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Avec vingt-cinq mille dollars de budget environ, commencé en 16mm puis repris en 35 à cause d'une caméra défectueuse, son troisième long-métrage intitulé Greetings (1968) voyait le jour. C'était l'histoire de trois personnages, Paul Shaw (Jonathan Warden), Jon Rubin (Robert De Niro), et Lloyd Clay (Gerrit Graham) qui s'efforçaient d'échapper à leur incorporation militaire pour la guerre du Vietnam. Paul se faisait passer pour un homosexuel, Jon prétendait faire partie d'une organisation paramilitaire secrète, tandis que Lloyd n'eut pas besoin de subterfuge pour se faire percevoir comme un indésirable aux yeux de l'armée. Réalisé en deux semaines avec beaucoup d'improvisations de la part des acteurs, le film reflétait l'esprit des années soixante: la révolution sexuelle, l'appel pour le Vietnam, et l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Dans l'attente des décisions pour le service au Vietnam, chaque personnage se défoulait à sa manière, ainsi, Lloyd Clay était à la recherche de la preuve d'une conspiration contre JFK. La version officielle de cet évènement qui choqua l'Amérique fut effectivement beaucoup remis en cause, notamment par des personnes qui cherchaient à prouver qu'il s'agissait d'un complot à plus haute échelle. Lors de cette visite pré-électorale, à Dallas le 22 novembre 1963, le cortège avec la limousine présidentielle décapotée traversait la ville à petite vitesse, salué par la foule amassée, quand les coups de feu éclatèrent. Le "film Zapruder" (film amateur du nom de celui qui enregistra les images), à présent connu dans le monde entier, ne durait que quelques secondes, mais montrait les terribles derniers instants du président. On le voyait d'abord touché au niveau du cou. Assis devant lui, le gouverneur Connally était blessé à la poitrine. Puis une gerbe de sang jaillissait de la tête de JFK. On le déclara mort une fois transféré au Parkland Hospital. Selon les conclusions des deux enquêtes gouvernementales menées, Lee Harvey Oswald était l'assassin du président. Il ne fut jamais jugé car deux jours après son arrestation, il mourut assassiné devant les caméras. L'enquête du HSCA (commission d'enquête créée par la Chambre des Représentants des USA en 1976 pour enquêter sur les assassinats de Kennedy et de Martin Luther King) estimait qu'il y avait eu conspiration, ce que de nombreuses personnes pensent encore aujourd'hui. Le film Zapruder fut réquisitionné pour l'enquête et les premières images étaient parues sous forme de photographies en série dans Life magazine. Chaque cliché pouvait être analysé, et ceux qui adhéraient à la théorie du complot les étudiaient en y trouvant des anomalies, notamment dans les mouvements de têtes de Kennedy. Plus tard, cela inspirerait Blow Out à De Palma, où le personnage de Travolta, Jack Terri, photographiait chaque photogramme de l'assassinat dont il était le témoin, et en créait un film pour découvrir l'origine du coup de feu. Dans Greetings, il y avait notamment une scène étonnante où Lloyd expliquait le trajet des balles mortelles en utilisant le corps dénudé d'une jeune fille. Finalement, Lloyd se faisait abattre par un soi-disant témoin du meurtre de Kennedy. Même si les films de De Palma regorgeraient par la suite de complots, de manipulations politiques, notons que le réalisateur n'a jamais cru à ce genre de théories. À la fin de Greetings, Paul et Jon se faisaient incorporer. Jon devenait même un héros au combat, et se faisait filmer pour un reportage télévisé américain, pendant lequel il capturait une vietnamienne qu'il contraignait à se déshabiller devant la caméra. Greetings a remporté l'Ours d'Argent au festival de Berlin en 1968, et rapporta trois millions de dollars de bénéfices. C'était le premier succès de De Palma qui se mit à l'écriture d'une suite.
Entre-temps, en 1969, William Finley qui faisait partie d'une troupe d'avant-garde new-yorkaise, le Performance Group, invitait Brian à découvrir une de leurs représentations mise en scène par Richard Schechner. Le spectacle était un happening et faisait intervenir le public. Cela plût tellement à De Palma qu'il décida d'en faire un film.
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Le principal intérêt de la pièce de Dionysus était que les acteurs interagissaient avec le public venu les voir jouer. En s'interrogeant sur la façon de rendre ça cinématographiquement, De Palma était venu à la conclusion que le meilleur moyen était de filmer le tout en split-screen (en français: "écran partagé" - technique consistant à diviser l'écran en plusieurs parties), avec deux caméras. Parfois, sans doute pour masquer le moment où un des deux cameramen coupait pour changer de bobine, les deux cadres étaient identiques. Ou bien un effet de style répétait l'image du cadre d'à côté à l'envers, retournée façon "miroir". Autrement, De Palma filmait la pièce en elle-même, en plan séquence, qui apparaissait dans le cadre gauche, tandis que Robert Fiore, le second cameraman, se concentrait sur l'interaction de la pièce avec le public, cadre de droite. De temps à autres, De Palma et Fiore apparaissaient dans le champs de l'autre.
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De Palma se rendait compte que cette technique d'écran partagé était idéale pour filmer des actions parallèles. Il l'a reproduisit dans son œuvre à divers reprises, principalement dans ses thrillers. La pièce de Dionysus in '69 est une libre adaptation des Bacchantes d'Euripide. Les acteurs jouaient parfois nus, entraient en transe et invitaient les spectateurs à danser avec eux des sortes de rituels inspirés du chamanisme ou des tribus primitives.
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Hi! Mom (la suite de Greetings) qu'il réalisa en 1969, et l'interprétation géniale de De Niro (qui excellait déjà dans le domaine semi-paranoïaque), préfiguraient Taxi Driver (Scorsese, 1976) et le personnage de Travis Bickle. Jon Rubin, toujours aussi voyeur, et en possession d'une caméra lui permettant de filmer la vie intime de ses voisins, comptait revendre son travail à un producteur de films pornos. Il était allé jusqu'à se mettre lui-même en scène après avoir séduit sa voisine, Judy Bishop, et avait filmé leurs ébats depuis son appartement à l'insu de la fille. Mais la caméra piqua du nez au moment crucial, et son film était raté. Il abandonna le cinéma porno et s'intégra dans une troupe, "Be Black Baby", groupe théâtral qui maltraitait les blancs pour les faire réagir sur les conditions de vie des communautés noires aux États-Unis. Puis Jon, marié à Judy, vivait avec elle dans une situation embourgeoisée. Ne supportant plus ce mode de vie, Jon faisait exploser son immeuble et apparaissait à la télévision comme témoin, avant de profiter de la présence de la caméra pour saluer sa mère. Dans Hi! Mom, De Niro retrouvait donc son personnage du voyeur Jon Rubin, et De Palma reprenait également Allen Garfield et Gerrit Graham dans de nouveaux rôles. Charles Durning (qui jouerait ensuite dans Sisters et The Fury) faisait une apparition dans la très drôle scène d'ouverture. De Palma choisit également son ex-petite amie, Jennifer Salt, pour jouer le rôle de Judy Bishop, la voisine que Rubin observait et finirait par épouser. L'actrice avait fait ses études de cinéma au Sarah Lawrence College avec De Palma, et ce dernier la fit jouer en 1964 dans Jennifer, un court-métrage qu'il réalisa pendant une interruption du tournage de The Wedding Party (dans lequel elle jouait également). De Palma poursuivait avec les effets de style tels que les ralentis, les accélérés, ou l'utilisation de temps à autres du noir et blanc dans des séquences filmées caméra à l'épaule. Représentative de l'Amérique contestataire, la séquence de "Be Black Baby" s'inspirait des nouvelles formes de théâtres, style happening, qui malmenaient et insultaient le public. Filmée à la façon "cinéma vérité" en noir et blanc, cette séquence rappelait évidemment Dionysus in '69. En 1970, grâce au succès de Greetings, la Warner proposa à De Palma la réalisation d'un film.
4. Première expérience douloureuse: Get to Know Your Rabbit
C'était la première fois qu'un studio hollywoodien s'intéressait à lui. Malheureusement, les choses se passèrent mal. Si la marginalité du projet de Get To Know Your Rabbit semblait convenir au tempérament de Brian De Palma, ses relations avec Tom Smothers (l'acteur principal du film) étaient difficiles, comme ses rapports avec la Warner qui devinrent de plus en plus conflictuelles. Le film était une satyre du capitalisme, racontant l'histoire de Donald Beeman, cadre dans l'entreprise du richissime Turnbull (John Astin). Donald décidait de tout plaquer pour prendre des cours de claquettes et de magie avec Mr. Delasandro (Orson Welles), faisait ensuite une tournée de représentations dans des bars infâmes avant de devenir rapidement un prestidigitateur et danseur de claquettes reconnu. Un jour, en revoyant Turnbull ruiné et devenu alcoolique, il finissait par l'embaucher. Mais Turnbull, entrepreneur dans l'âme, décida de monter une véritable industrie de loisirs autour de l'expérience de Beeman. Les gens s'habillaient comme Donald, apprenaient les claquettes et les mêmes tours... Du coup, il se retrouvait à la tête de l'entreprise qu'il avait créée malgré lui, avant de s'en échapper à nouveau...
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La Warner ne comprenait pas le désir d'innover de son réalisateur. Malgré tout, De Palma parvenait à tourner des séquences très réussies comme celle d'ouverture, au cours de laquelle la caméra suit en plongée verticale Beeman dans son appartement, et qui préfigurait Snake Eyes notamment. Pas très compréhensive vis-à-vis des exigences artistiques de De Palma, la firme finit par renvoyer le cinéaste avant le montage de son film. Dans le livre d'entretiens par Blummenfeld & Vachaud, De Palma évoquait aussi une raison: il avait tourné en ridicule Ted Ashley (qui dirigeait alors la Warner) pendant une soirée où il blaguait avec Martin Scorsese. La semaine suivante il était viré... Avant la sortie du film remonté, Martin Ransohoff (de Filmways) proposa à De Palma la réalisation de Fuzz (finalement réalisé par Richard A. Colla en 1972), une sorte de M.A.S.H. dans un commissariat de police, et qui s'avérait être à l'époque la seule offre qu'on lui faisait. Le studio imposait Yul Brynner et Raquel Welch, deux erreurs de casting. De Palma se doutant bien que le projet courait au désastre, laissa tomber. Fin 1971, suite à l'échec de sa première commande pour un studio (finalement Get To Know Your Rabbit sortit en 1972) qu'il digéra assez mal, et après avoir abandonné le seul projet qu'on lui proposait, De Palma décida de tout recommencer à zéro. Il quitta New York et partit s'installer en Californie chez son ex-petite amie, Jennifer Salt, qui vivait dans une maison au bord de la plage avec une autre comédienne, Margot Kidder. De Palma et Kidder sortirent ensemble. Tout comme lui, Jennifer et Margot avaient quelques soucis professionnels. À Noël 1971, les deux actrices eurent la surprise de trouver deux scénarios emballés dans du papier-cadeau sous le sapin: Sisters et Phantom of the Paradise... Romain Desbiens De Palma, Jennifer Salt et Margot Kidder sur le plateau de Sisters (1972)
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