low-Up (1966) est une libre adaptation de la nouvelle Les Fils de la Vierge de Julio Cortázar. Au début du film, le personnage incarné par David Hemmings (baptisé Thomas dans le scénario mais anonyme dans le film) rend visite à un de ses amis artistes qui ne peint que des formes abstraites. Ce dernier lui dit : 

"Quand je les peins, ça n'a aucun sens. Après je découvre des choses auxquelles je me rattache. Comme cette jambe. Et tout à coup ça s'éclaircit tout seul. C'est comme découvrir la clef d'une énigme dans une histoire policière..."

 

Ce film est le seul grand succès commercial de la carrière d'Antonioni. Son écriture filmique, sa subtile manière de diriger la caméra avec des plans fixes longs assez inhabituels dans le 7ème Art, la musique originale d’Herbie Hancock (avec la participation légendaire du groupe The Yardbirds), son scénario de polar avec le supposé meurtre et un cadavre disparu, et l'excellente interprétation de Vanessa Redgrave et de David Hemmings, en ont fait un des films cultes des années 60. À la fois une analyse contemporaine des bouleversements sociaux de l’Europe d’après-guerre, et un hommage à la Beat Generation du London underground des années 60, Blow-Up avait déjà un impact social à sa sortie. En 1967, le film a reçu la palme d’or au festival de Cannes...

 

Le Blow Out (1981) de De Palma est donc un démarquage du film d'Antonioni. Comme dans ce dernier, il est question de réflexion sur le cinéma, et plus particulièrement sur l'illusion, entraînant l'utilisation d'une technique (le développement et l'agrandissement photographique dans Blow-Up, le montage cinématographique dans Blow Out). Mais le récit de De Palma s'éloigne du film d'Antonioni avec le personnage principal, Jack Terri, qui sait déjà qu'il y a eu un meurtre. Il tente de le prouver à la police en s'efforçant de reconstituer un film, tandis que le personnage de David Hemmings prenait des photos sans s'apercevoir de leur importance, ne découvrant le secret seulement après avoir développé la pellicule.

 

1. Réinterpréter les images chez Antonioni

 

Thomas est un photographe de mode légèrement arrogant selon les clichés des années 60 en vigueur: il a un loft-studio à Londres, de jolies femmes qui se jettent à ses pieds et il roule en cabriolet. Mais il en a marre de cette vie-là, ainsi que des visages inexpressifs des modèles qu'il photographie. Il s’affirme aussi comme photographe indépendant. Il tente de publier un livre dont le contenu porte un regard critique sur la société. Thomas est donc dépeint comme un homme d’images à l’écoute de son temps, pour qui la réalité sociale extérieure existe à côté du monde de la mode. Pour compléter ce livre, il photographie à la dérobée une jeune femme (Vanessa Redgrave) en train d'enlacer un homme plus âgé dans un parc. En rentrant chez lui, il est accosté par la jeune femme. Elle veut récupérer les clichés, et est même prête à coucher avec lui pour récupérer le négatif. Elle repart avec un rouleau vierge que Thomas a substitué au sien. La scène qui suit est la scène-clef du film: en développant la pellicule, le photographe découvre une vérité qu'il ne soupçonnait pas...

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Sorti de la chambre noire, Thomas rallongé considère les clichés (5.) qu'il a punaisé sur une poutre de son salon. Intrigué par le comportement de la fille, il agrandit ("blow-up") dans un premier temps une photo. Il découvre son expression angoissée, le regard tourné vers un endroit dans les buissons, tandis que l'homme l'enlace. Vers quoi regardait-elle précisément? Thomas cherche vaguement du doigt et ne trouve rien (11.).  

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Il met un disque, boit du vin et revient plus tard. à la loupe, il croit distinguer quelque chose (13.). Avec un crayon blanc il encadre une partie de la photo. 

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Après agrandissement (14.) et même si l'image n'est plus très nette, Thomas se rend compte qu'il y a un homme caché derrière les buissons (16.). Il retourne dans la chambre noire et développe d'autres photos. Antonioni rejoue une première fois la scène du parc via des gros plans sur les images. La question est de savoir ce qu'est advenu à l'homme que Redgrave embrassait (21.) pendant qu'il se disputait avec la jeune femme (18.) dans les escaliers.

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En regardant de nouveau l'image de l'inconnu dans le buisson, Thomas distingue une nouvelle forme. Il agrandit de nouveau et discerne une main tenant un revolver sortant des buissons. Antonioni rejoue ainsi une seconde fois la scène du parc en passant d'une image à l'autre, montrant l'interprétation de l'histoire par le photographe. Il rajoute même le bruit du vent dans les feuilles d'arbres. 

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Thomas pense avoir empêché un meurtre et sauvé la vie de l'inconnue. Il est interrompu par des jeunes filles qui tiennent absolument à poser pour lui. Leur visite dégénère en orgie ludique. Plus tard, il distingue un nouveau détail sur une photo qui aura une grande importance. Il refait un agrandissement (37. 38.) et cette fois-ci, la forme est le cadavre (39.) de l'homme étendu sur l'herbe, à moitié dissimulé par un buisson. Sur la photo d'origine (35.) la jeune femme se tenait debout à côté du mort. Elle était complice du meurtre. 

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Comme une amie de Thomas le dira plus tard, à propos de ce cliché maintes fois agrandi, on dirait une des peintures abstraites de son ami peintre. Cela renvoie évidemment au début: peu à peu, tout a fini par s'éclaircir...

 

2. Retrouver la vérité chez De Palma

 

Si ces deux séquences sont dénuées de dialogues, le son demeure intéressant chez Antonioni mais capital dans Blow Out. Le héros, Jack Terri (John Travolta), est preneur de son pour des films de série Z. Muni d'un magnétophone et d'un micro-perche, il enregistre les bruits nocturnes près d'un bois pour le mixage d'un film, lorsqu'un coup de feu retenti. Il est suivi d'un bruit de crissement de pneu. Une voiture fait une embardée, quitte la route et tombe dans un lac. Jack plonge à l'eau et repêche l'unique survivante. Il apprendra qu'elle est call-girl et que l'autre personne du véhicule était un gouverneur, en bonne position dans les sondages pour la campagne présidentielle. Pour Jack, il s'agit d'un attentat. Il a enregistré à ce moment-là, et le bruit d'éclatement selon lui est celui d'un de coup de feu. Mais les autorités ne se laissent pas convaincre. Plus tard, il apprend qu'une autre personne était présente sur les lieux et qui a photographié l'accident, puis a vendu sa série de clichés à la presse. Jack achète un magazine avec les photos, et réalise un montage bout à bout de ces clichés, auquel il greffe sa bande sonore. C'est un moment crucial ; c'est ici que Jack va réaliser la preuve qu'il s'agissait d'un complot politique, afin de la montrer à la police puis la presse. 

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Jack se rend au labo d'animations et s'enferme à clef. Le réalisateur du film qu'il doit sonoriser vient frapper à la porte mais Jack ne lui ouvre pas. Il regarde chaque image de la planche-contact du magazine, puis commence à les découper soigneusement (6. 8.), par groupes puis case par case. 

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Brian De Palma insiste sur la recréation du film pas à pas, et s'attarde même à montrer une sorte de calepin d'animation improvisé par Jack pour recréer le mouvement (9. 10. 11.), comme ces livres de dessins pour enfants qui créent l'illusion d'une animation lorsqu'on fait tourner les pages rapidement (la base de l'animation). Puis Jack pose une première image (12.) sur une table de prise de vue, et filme image par image les clichés.

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Il obtient ainsi un film sur lequel il va placer le son sur les images plus tard dans son labo. De Palma comme Antonioni décrit entièrement le processus de développement et de montage. Mais il est intéressant de voir que malgré les techniques évoquées, qui ne sont pas communes pour tous les spectateurs (le développement photographique dans Blow-Up, le montage avec bande-son dans Blow Out), les deux réalisateurs parviennent à rendre chaque plan suffisamment clair pour qu'à aucun instant le spectateur ne s'égare. Une fois dans son labo, Jack Terri regarde le film une première fois sans le son (26. à 32.).

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Il positionne le film sur le moment précis où la voiture plonge dans l'eau (33.). Puis il passe la bande sonore qu'il écoute attentivement. Au moment où le coup de feu retentit, il stoppe la lecture, et marque le moment d'une croix blanche sur la bobine (40.)

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Il avance dans le son jusqu'au moment où on entend le bruit de la voiture plongeant dans l'eau. Il marque la position précise d'un "S" au crayon blanc. Il relie la bande son au film qu'il a recrée avec les photographies, à partir du son du plongeon de la voiture.

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Il remarque un point lumineux suivi d'une légère fumée s'échappant d'un buisson, au moment précis du coup de feu dans la bande son. Sur les photos ce n'est pas clair, mais en lisant le film avec la bande son, il devient évident que c'était bien un attentat. Jack Terri a obtenu son film-preuve. 

Romain Desbiens